CHAPITRE II

MÉTHODES EXPÉRIMENTALES

II.1 – Dispositif expérimental

L’expérience a été réalisée auprès du Grand Accélérateur National d’Ions Lourds à Caen. C’est un double cyclotron à secteurs séparés, capable d’accélérer des noyaux allant du carbone (jusqu’à \(95~\)MeV par nucléon) au plomb (jusqu’à \(29~\)MeV par nucléon.) L’ensemble des détecteurs a été placé sous un vide de l’ordre de \(10^{-6}~\)Torr dans la grande chambre à réaction Nautilus, qui se présente sous la forme d’un cylindre de \(5~\)m de long et de \(3~\)m de diamètre. L’ensemble complet, représenté figure II.1, est composé de quatre multidétecteurs couvrant toute la gamme de charge et un angle solide d’environ \(50\)% de \(4\pi~\)sr. L’expérience, labellée E119, qui sera analysée ici en détail fut la première à utiliser l’arrangement en entier muni de son système d’acquisition. Un des buts était de comparer avec deux expériences réalisées précédemment à plus haute énergie : la E68 où manquait DELF et l’hémisphère arrière du tonneau, et la E89, dont certains résultats seront présentés, où il manquait le tonneau.

Figure II.1
Fig. II.1 : Vue générale des quatre multidétecteurs XYZt, DELF, le Mur et le Tonneau dans la chambre à réaction Nautilus auprès de l’accélérateur GANIL à Caen (France.)

II.1.i Le multidétecteur XYZt

XYZt est un ensemble de 12 modules identiques, en principe configurable de façon arbitraire, mais qui est ici assemblé sur un bâti composé de deux supports symétriques par rapport au faisceau, dont l’angle avec celui-ci est variable. L’angle solide couvert est représenté figure II.2. Il équivaut en gros à un cône de \(30°\) de demi-angle d’ouverture. Chaque module est composé de deux détecteurs successifs. D’abord un compteur à avalanche à plaques parallèles (PPAC), positionné à \(138,6~\)cm de la cible, permet de déterminer le temps d’arrivée d’une particule et les coordonnées de son point d’impact. Ensuite une chambre à ionisation (IC) autorise l’identification par la mesure de la perte d’énergie à travers une épaisseur de gaz.

Figure II.2
Fig. II.2 : Acceptance angulaire de XYZt en fonction de l’angle polaire \(\theta\) et l’angle azimutal \(\varphi\).
Le compteur à avalanche à plaques parallèles

C’est une chambre à gaz à champ électrique longitudinal, sensible à la position grâce à deux plans de fils tissés mutuellement orthogonaux. Il est composé d’un empilement de cadres de \(0,32~\)cm d’épaisseur et de dimension intérieure de \(28,8\times28,8~\)cm2, collés les uns sur les autres et supportant soit des fenêtres en mylar, aluminisées pour quelques-unes afin de remplir le rôle d’électrodes, soit les plans de fils. La succession des différents constituants est schématisée figure II.3. Il est rempli d’isobutane à une pression de \(7,6~\)Torr et une tension de \(650~\)V est appliquée entre ses électrodes, créant un champ électrique d’environ \(2000~\)Vcm-1 et un champ réduit de \(270~\)Vcm-1Torr-1.

Figure II.3
Fig. II.3 : Schéma des constituants successifs du compteur à avalanche à plaques parallèles.

Les particules chargées traversant le gaz ionisent ses molécules, donnant naissance à des électrons libres qui sont suffisamment accélérés par la différence de potentiel pour en arracher d’autres, initiant ainsi une avalanche. Les électrons recueillis sur l’anode donnent un signal rapide, indiquant le temps d’arrivée, mais son amplitude est aussi enregistrée pour servir éventuellement à l’identification ou à l’élimination des particules mal mesurées. Chaque plan de fils sert à déterminer une coordonnée. Ils sont organisés en une succession de 119 groupes de trois fils reliés électriquement, espacés entre eux de 0,24 cm, et connectés à une broche d’une ligne à retard qui est lue indépendamment aux deux extrémités. La comparaison entre les deux signaux permet de vérifier le bon fonctionnement et d’exclure les coups provoqués par deux particules différentes, tout en améliorant la résolution.

La chambre à ionisation

C’est une deuxième chambre à gaz à champ électrique longitudinal, représentée figure II.4, et qui ne mesure que la perte d’énergie de la particule dans une épaisseur de gaz plus grande. Elle est de dimension intérieure de 30 × 30 cm2, supérieure à celle du compteur à avalanche car elle est située derrière lui, et d’épaisseur utile de 10 cm. Le champ électrique est appliqué à l’aide de deux électrodes en mylar aluminisé disposées de chaque côté d’une électrode centrale polarisée négativement où le signal est recueilli, et d’anneaux équipotentiels connectés à un pont de résistances. Elle est remplie d’isobutane sous une pression de 100 Torr et la tension appliquée est de 700 V.

Figure II.4
Fig. II.4 : Schéma de la chambre à ionisation.

A ce point de fonctionnement, les électrons libres créés par l’ionisation ne peuvent pas induire d’avalanche, mais ne sont pas non plus recapturés, et leur nombre est en principe proportionnel à la perte d’énergie. Le courant généré par le mouvement des électrons charge le condensateur formé par les plans de polarisation, produisant ainsi une tension à ses bornes proportionnelle à la distance entre le lieu de création des charges et l’anode collectrice. C’est l’amplitude de cette tension qui est mesuré.

II.1.ii Le multidétecteur DELF

DELF [BOU87] est un ensemble de 18 modules de structure similaire à celle de XYZt, mais avec une fenêtre d’entrée moins épaisse, car il attend des fragments plus lourds et plus lents. Les signaux qu’il délivre sont aussi de même nature. Il est disposé en trois couronnes autour de la cible, de 30° à 70°, de 70° à 110° et de 110° à 150°, et à une distance de 51 cm, sauf pour la couronne centrale qui est à 25 cm. Pour des raisons géométriques évidentes, les modules à l’avant et à l’arrière ont une forme trapézoïdale. Ils présentent chacun une surface totale de 600 cm2, alors que les modules centraux ne font que 400 cm2.

II.1.iii Le Mur de plastique

Le Mur [BI86] est un ensemble de 96 scintillateurs plastiques en NE102, de 0,2 cm d’épaisseur, et équipés chacun d’un photomultiplicateur de lecture. Ils recouvrent une calotte sphérique de 30° de demi-angle d’ouverture placée à une distance de 235 cm de la cible, sauf un trou central d’environ 3° pour le passage du faisceau, et se répartissent en sept couronnes concentriques de seize éléments chacune, sauf les deux centrales qui n’en comptent que huit. Les largeurs de celles-ci sont de plus en plus grandes à mesure qu’on s’éloigne du faisceau, afin que chaque détecteur ait à peu près le même taux de comptage. Dans l’expérience E119, pour arrêter les électrons arrachés à la cible, une feuille de mylar de 130 μm d’épaisseur a été interposée juste devant le Mur.

Le signal délivré par chaque photomultiplicateur fournit la perte d’énergie par intégration et le temps d’arrivée. Ces deux données sont utilisées pour mesurer la vitesse de la particule et pour l’identifier, alors que le numéro du compteur touché apporte une estimation grossière de la direction d’émission.

II.1.iv Le Tonneau

Le Tonneau [PEG89] se divise en deux hémisphères de 80 cm de rayon qui couvrent la plage en angle polaire de 30° à 90° et de 90° à 150°, soit approximativement la même que DELF. Chaque hémisphère est un ensemble de 20 scintillateurs plastiques en NE102, de 0,2 cm d’épaisseur, en forme de latte longitudinale. Ils sont lus chacun par deux photomultiplicateurs à chaque bout.

Comme pour le Mur, l’intégration de leur signal, et leur somme aux deux extrémités détermine la perte d’énergie de la particule. Les informations temps permettent de mesurer le temps d’arrivée par la moyenne des deux, et l’angle polaire à partir de leur différence. Ces données rendent possible l’identification quant à l’angle azimutal, il est fourni par le numéro du détecteur.

II.1.v Le BaF2

Pour la mesure correcte des temps, il est indispensable d’avoir un bon signal start. Celui-ci est apporté par la haute fréquence de l’accélérateur, mais il a été remarqué qu’elle n’était pas stable dans le temps et subissait parfois des dérives lentes. C’est pour mesurer cette dernière qu’un compteur supplémentaire a été ajouté, sous la forme d’un cristal scintillant placé vers 0° et derrière les autres détecteurs.

Chaque fois qu’un paquet de faisceau traverse la cible, il provoque l’émission de particules, électrons, neutrons, γ etc... Ce sont les rayonnements γ qui sont les plus utiles parce qu’ils ont toujours la même vitesse et qu’ils donnent bien sûr un signal dans le cristal de BaF2. Ainsi, la distribution en temps mesurée présente un pic aigu dû aux photons et dont on se sert pour évaluer la dérive du signal start par rapport au temps d’arrivée du paquet de faisceau sur la cible.

II.1.vi Faisceau et cibles

Le faisceau utilisé est du 84Kr à une énergie de 27 MeV par nucléon, et d’état de charge 25+. Il est pulsé à une fréquence de 7,56 MHz, ce qui fait un paquet toutes les 132,25 ns. Son intensité est de l’ordre de 1 nA, ne donnant lieu qu’à une vingtaine de noyaux seulement par pulse, sur une largeur en temps de 0,6 ns à 1 écart standard. Trois cibles différentes ont été exposées : natAg, 197Au et 232Th d’épaisseurs respectives de 340 μg cm-2, 430 μg cm-2, et 200 μg cm-2 supporté par 100 μg cm-2 d’aluminium pour la dernière, la plus grande statistique ayant été prise avec la cible d’or. L’expérience E89 précédente a été faite avec un faisceau de 86Kr à 43 MeV par nucléon, et avec les même cibles. Le tableau 1 fournit quelques données utiles pour chaque combinaison projectile/énergie/cible, avec les significations suivantes :

\(v_p\): Vitesse du projectile
\(T^{lab}\): Énergie cinétique du projectile
\(p^{lab}\): Moment linéaire du projectile
\(p^{cm}\): Énergie cinétique totale dans le centre de masse
\(v_{cm}\): Vitesse du centre de masse
\(V_c\): Barrière Coulombienne
\(\theta_{eff}^{lab}\): Angle d’effleurement dans le laboratoire
\(\theta_{eff}^{cm}\): Angle d’effleurement dans le centre de masse
\(A_{tot}\): Nombre de masse total
\(Z_{tot}\): Nombre de charge total
\(\mu\): Masse réduite
\(\ell_{eff}\): Moment angulaire d’effleurement
\(\ell_c\): Moment angulaire critique pour la fusion
\(\eta\): Paramètre de Sommerfeld \(\eta=Z_pZ_ce^2/\hbar v_p\)
\(\eta'\): Paramètre de Sommerfeld modifié \(\eta'=Z_pZ_ce^2/\hbar\sqrt{2(T^{cm}-V_c)/\mu}\)
\(t\): Temps de traversée \(t=2(R_p+R_c)/v_p\)
Tableau 1 : Paramètres de réaction pour chaque système.
Projectile 84Kr \(E/A\) = 27 MeV 86Kr \(E/A\) = 43 MeV
\(v_p\)/[cm/ns] 7,07 8,81
\(T^{lab}\)/[MeV] 2 268 3 698
\(p^{lab}\)/[MeV/c] 18 980 24 620
Cible natAg 197Au 232Th 197Au
\(v_{cm}\)/[cm/ns] 3,143 2,156 1,919 2,763
\(T^{cm}\)/[MeV] 1 271 1 585 1 660 2 562
\(V_c\)/[MeV] 188 288 319 287
\(\theta_{eff}^{lab}\)/[deg] 5,1 8,2 9,1 4,8
\(\theta_{eff}^{cm}\)/[deg] 9,1 11,6 12,4 7,0
\(A_{tot}\) 192 281 316 283
\(Z_{tot}\) 83 115 126 115
\(\mu\)/[u] 47,25 58,89 61,67 59,87
\(\ell_{eff}\)/[\(\hbar\)] 645 864 924 1 163
\(\ell_c\)/[\(\hbar\)] 122 66 0 66
\(\eta\) 53,44 89,83 102,3 71,97
\(\eta'\) 57,81 99,07 113,5 76,24
\(t\)/[10-22s] 2,99 3,36 3,48 2,70

II.2 – Traitement des données en ligne

II.2.i Mise en forme et codage des signaux

Il y a trois types d’information disponible à partir d’un signal, soit le temps, soit l’amplitude, soit l’intégrale de l’impulsion. Elles sont obtenues par des codeurs différents, après des traitements qui varient un peu suivant le cas. Pour commencer, les signaux passent tous par un préamplificateur dès la sortie de la chambre à réaction avant d’arriver dans la casemate située plusieurs mètres plus loin, et ceci afin de remédier à l’atténuation durant ce trajet. Ils passent ensuite dans un amplificateur, ou pour la mesure du temps, dans un discriminateur à fraction constante dont le signal de sortie présente un front montant à un temps indépendant de l’amplitude du signal d’entrée. Enfin, ils sont envoyés à travers un convertisseur de norme NIM/ECL sur le codeur adéquat, qui convertira la donnée sous forme numérique quand il en recevra l’ordre par le déclencheur. La réponse des codeurs de temps sera déterminée par le temps écoulé entre le signal start donné par la haute fréquence de l’accélérateur, et le signal stop venant des détecteurs.

II.2.ii Déclencheur

Dans l’expérience E119, l’acquisition pouvait être déclenchée soit par le BaF2, soit lorsqu’il y avait une multiplicité minimale, préalablement fixée, de fragments dans XYZt et DELF, et en considérant la présence d’un signal temps venant des compteurs à avalanche comme la signature de leur passage. Pour détecter ces coïncidences, il a été fait appel à un module de multiplicité qui reçoit en entrée les 18 signaux temps et génère un signal en sortie dès qu’il a compté le nombre d’impulsions requises dans un intervalle de temps inférieur à 140 ns. Ce signal et celui du BaF2 sont envoyés sur les voies maîtres du MCR (Module de Coïncidence Rapide) qui est activé à chaque paquet de faisceau par la haute fréquence sur une voie maître-moniteur. Après activation, tous les signaux reçus sur les voies maîtres sont mémorisés pendant la fenêtre de coïncidence qui a été fixée à 120 ns, et à la fin de laquelle le MCR prend la décision d’accepter ou de rejeter l’événement. En cas de rejet, le MCR est réarmé et se met en attente de l’événement suivant, sinon il délivre le signal OK servant à déclencher les codeurs et à autoriser le passage du signal start formé à partir de la haute fréquence. La configuration des voies maîtres est lue et sera enregistrée sur la bande magnétique à côté des autres données de l’événement.

II.2.iii Acquisition et surveillance

Lorsque l’acquisition est déclenchée, les signaux sont codés, et au bout du temps nécessaire pour cela, les données sont transmises sur un bus rapide FERA (Fast Encoding Readout Adc) suivant un protocole géré par un contrôleur. Chaque codeur envoie d’abord un mot comprenant le VSN (Virtual Station Number) qui l’identifie et le nombre de données qui sont supérieures à un seuil défini. Celles-ci sont ensuite émises l’une après l’autre et ont pour bits de poids fort un code spécifiant l’entrée du codeur à laquelle elles correspondent. A la fin du cycle, tous les codeurs sont remis à zéro. Il y a un bus FERA indépendant pour chaque multidétecteur écrivant dans sa mémoire tampon  propre, qui est connectée par ailleurs à un bus VME (Versa Module Eurocard). Un certain nombre de processeurs travaillant en parallèle les lisent et regroupent les données appartenant au même événement dans une autre mémoire. De là elles sont lues par un deuxième bus VME et transférées au mini-ordinateur d’acquisition qui est chargé de les écrire sur la bande magnétique dans un format particulier. Toute la chaîne d’acquisition est schématisée sur un « bloc-chronogramme » (fig. II.5).

Figure II.5
Fig. II.5 : « Bloc-chronogramme » de toute la chaîne électronique. La forme de quelques signaux est représentée près des circuits où ils circulent. Seules quelques voies caractéristiques sont reportées.

Pendant le déroulement de l’expérience, et surtout pendant la phase de réglage et de mise au point, il est nécessaire de pouvoir examiner les données qui sont enregistrées, et de vérifier qu’elles correspondent bien à ce qu’on attend. Ceci est réalisé de plusieurs manières. D’abord en comptant le nombre d’impulsions venant des détecteurs en utilisant des échelles de comptage. On fait aussi directement des spectres à partir des signaux électroniques à l’aide d’un analyseur multicanaux. Mais le moyen le plus sophistiqué est mis en œuvre par l’ordinateur d’acquisition lui-même et permet de visualiser et de traiter des histogrammes à une ou deux dimensions construits à partir des données qui sont envoyées sur la bande. Il est ainsi possible de regarder des paramètres physiques afin de diagnostiquer les anomalies et les pannes éventuelles.

II.2.iv Pentes d’étalonnage

Tout de suite après la fin de la prise de données, il faut mesurer les pentes des codeurs afin de minimiser la dérive de l’électronique. Le système d’acquisition est utilisé dans ce but, de sorte qu’on obtient des bandes magnétiques qu’on lit avec le même programme que celles qui contiennent les données de l’expérience. Les signaux des détecteurs sont remplacés par ceux d’un calibreur de temps branché à l’entrée des préamplificateurs, et qui donne aussi le signal start et déclenche l’acquisition. Il génère deux impulsions séparées par un temps réglable, sur des sorties distinctes, et ceci à la fréquence choisie. On prend plusieurs intervalles de temps espacés régulièrement. Pour les codeurs d’amplitude, on ne peut avoir que des pentes relatives. On emploie un simple générateur d’impulsions à amplitude réglable.

II.3 – Etalonnage de XYZt

II.3.i Calcul des pentes des codeurs

Les pentes des codeurs sont évaluées hors ligne en relisant les bandes d’étalonnage et en faisant un histogramme des numéros de canal pour chacun des codeurs. On y voit des pics régulièrement espacés, associables immédiatement aux valeurs réelles. Pour chacun d’eux, on choisit un intervalle qui l’entoure. On fait alors une régression linéaire qui fournit la pente, mais aussi l’ordonnée à l’origine. Celle-ci n’est d’aucune utilité pour les temps, mais peut servir pour les autres quantités. Dans la suite du dépouillement, on prendra toujours les numéros de canal multipliés par la pente.

II.3.ii Calcul de la perte d’énergie

Les fragments, en traversant le détecteur, sont déjà ralentis à travers les matériaux qui le composent avant d’atteindre le gaz de la chambre à ionisation dans laquelle la perte d’énergie cinétique est utilisée pour la mesure de la charge, à moins qu’ils ne soient complètement arrêtés. Le signal en sera donc altéré. Pour traiter proprement ce problème, il faut calculer le parcours d’un noyau avec une vitesse et une charge données, et en déduire la réponse obtenue. On y parvient grâce à la procédure dont la description suit.

Tout d’abord, le milieu à traverser est subdivisé en couches successives, définies par leurs caractéristiques, telles l’épaisseur, la composition etc... Ensuite on simule le passage d’une particule en spécifiant sa masse, sa charge, sa vitesse et son angle d’incidence, et en appelant la procédure. A la sortie, les valeurs de départ modifiées sont retournées, en plus de l’amplitude du signal. La dispersion en énergie et en angle étant prise en compte, les résultats sont légèrement différents pour des conditions initiales identiques.

Ingrédients du calcul

La formule de Bohr-Bethe convenant pour le domaine d’énergie et de masse considéré s’écrit [FA63, AH80] : \[-\Delta E=2\xi\left\{\log\left({Q_{max}\over I}\right)-\beta^2-{C\over Z}\right\}\] avec \[\xi={2\pi e^4\over m_ec^2}{\scr N}{Z\over A}\rho{z^{*2}\over\beta^2\cos\theta}\Delta s~;\quad Q_{max}={2m_e\beta^2c^2\over1-\beta^2}\] \(Q_{max}\) représente la perte d’énergie maximale lors d’une collision avec un seul électron du milieu. Les autres symboles ont la signification suivante :

\(\Delta E\) est la perte d’énergie pour un parcours de longueur \(\Delta s\).
\(\scr N\) est le nombre d’Avogadro \({\scr N}\sim\) 6,02·1023 mol-1.
\(Z\), \(A\) et \(\rho\) sont le numéro atomique, la masse molaire et la masse volumique du milieu ralentisseur. La combinaison \({\scr N}Z\rho/A\) donne donc le nombre d’électrons par unité de volume.
\(I\) est le potentiel moyen d’excitation du milieu.
\(\beta\) et \(\theta\) sont la vitesse de la particule divisée par \(c\) et son angle d’incidence.
\(z^*\) est la charge effective de la particule dans le milieu.
\(C/Z\) est le terme de correction de couche.

Un atome traversant de la matière est « épluché » d’un certain nombre de ses électrons, et du point de vue de la perte d’énergie, tout se passe comme s’il portait une charge \(z^*\) dépendante avant tout de son numéro atomique \(z\) et de sa vitesse. Toutefois, pour un ion suffisamment lourd dans un milieu léger, il a été observé qu‘elle est aussi fonction du numéro atomique du milieu, d’où la paramétrisation suivante [HU89] : \[z^*=z\left(1-\exp\{-x_2(E/a)^{x_3}z^{-x_4}\}\right)\] où \(E/a\) est l’énergie par nucléon de l’ion et : \[x_1=1,164+0,2319\exp\{-0,004302~Z\}+1,658\exp\{-0,0517~z\}\] \[x_2=8,144+0,09876\ln Z\] \[x_3=0,314+0,01072\ln Z\] \[x_4=0,5218+0,02521\ln Z\]

Pour arriver à l’expression théorique de la perte d’énergie, le calcul est fait dans le cadre de la première approximation de Born. Mais pour que celle-ci soit valable, il faut que la vitesse de la particule soit beaucoup plus grande que celle des électrons liés du milieu, sinon, il faut faire intervenir le terme correctif \(C/Z\). Celui-ci peut, à la précision de l’approximation de Thomas-Fermi, être considéré comme ne dépendant que de \(x=\beta^2/(\alpha^2Z)\). A partir de données expérimentales de perte d’énergie [NO70], \(C/Z\) a été évalué en fonction de \(x\) et de \(Z\). Lorsque \(x\) est suffisamment grand, \(C/Z\) est négligeable. En toute rigueur, la correction dépend aussi de \(z\), mais cela est déjà contenu dans la paramétrisation de \(z^*\).

Tout ce qui précède concerne en fait la perte d’énergie moyenne, mais comme le mécanisme de ralentissement est aléatoire par nature, il existe une certaine dispersion autour de celle-ci. Pour des valeurs croissantes de \(\xi/Q_{max}\), l’écart à la moyenne suivra une loi de Landau, de Vavilov ou de Gauss, toutes de variance \(\sigma^2=(1-\beta^2/2)Q_{max}\xi\). La distribution de Landau est asymétrique avec une queue du côté des grandes pertes d’énergies et celle de Vavilov évolue continûment entre celles de Landau et de Gauss. Cette dernière est une bonne approximation pour \(\xi/Q_{max}\) > 10.

De la même façon, la trajectoire de la particule n’est pas rigoureusement une ligne droite. Cela doit être pris en compte, car la distance parcourue dans le milieu s’allonge, ce qui a une incidence sur la perte d’énergie. L’angle moyen de déviation a pour ordre de grandeur [FA63] : \[\langle\cos\Theta\rangle~\sim1-kZ{m_e\over M}\ln\left[{E_0(E+2Mc^2)\over E(E_0+2Mc^2)}\right]\] \(k\) varie peu, et a une valeur proche de 0,5. \(E_0\) et \(E\) représentent l’énergie cinétique de la particule respectivement avant et après la traversée, et \(M\) sa masse.

Il ne reste plus qu’à relier la perte d’énergie et l’amplitude du signal effectivement produit. Dans une chambre à gaz ou un compteur à semi-conducteur, les deux sont proportionnelles au nombre d’électrons libres créés. L’énergie moyenne nécessaire pour ioniser un atome ne dépend en fait quasiment pas des caractéristiques de la particule incidente, à condition qu’elle soit suffisamment légère ou rapide, mais seulement de la nature du milieu.

Déroulement du calcul

Le problème revient à résoudre une équation différentielle portant sur l’énergie de la particule, ce qui est réalisé numériquement par la méthode de Runge-Kutta d’ordre 4, généralisée aux équations stochastiques, et en prenant pour pas l’épaisseur de la couche de matière considérée suffisamment mince. On passe de \(E\) à \(\beta^2\) et inversement selon la cinématique relativiste :

\[\beta^2={E(E+2Mc^2)\over(E+Mc^2)}~;\quad E={M\beta^2c^2\over\sqrt{1-\beta^2}+1-\beta^2}\]

Pour le calcul du \(dE/ds\) moyen, on évalue d’abord la charge effective \(z^*\) à partir de sa paramétrisation, et la correction de couche \(C/Z\) par interpolation dans la table si \(x\) < 500, sinon elle est négligée. Dans le cas d’un composé chimique ou d’un mélange, le calcul est fait pour chaque élément et les moyennes quadratique pour \(z^*\), arithmétique pour \(C/Z\), pondérées par la proportion atomique sont effectuées.

L’écart de \(dE/ds\) à la moyenne est généré aléatoirement à partir d’un histogramme dépendant de la valeur de \(Q_{max}/\xi\), et préparé à l’initialisation, ce qui donne une variable de moyenne 0 et d’écart type 1 qu’on multiplie par \(\sigma\). Après la traversée, la dispersion en angle est traitée comme suit : on estime en premier lieu \(\langle\cos\Theta\rangle\), puis le nouvel angle d’incidence est obtenu en prenant un angle azimutal \(\varphi\) par rapport à la direction initiale uniformément distribué entre 0 et \(2\pi\) : \[\cos\theta=\cos\theta_0\langle\cos\Theta\rangle+\sqrt{(1-\langle\cos\Theta\rangle^2)(1-\cos^2\theta_0)}\cos\varphi\]

Il ne reste plus qu’à déterminer l’amplitude du signal à partir du coefficient d’efficacité de la couche, puis à l’additionner à celles des couches précédentes.

Ces opérations sont répétées jusqu’à ce que, soit toutes les couches ont été traversées, soit la vitesse de la particule est tombée à 0.

II.3.iii Calibrage de la vitesse et de la charge

Le principe de base de la calibration consiste à superposer l’histogramme bidimensionnel expérimental \((t,S)\) du temps de vol et de l’amplitude du signal de la chambre à ionisation avec sa simulation faite avec la procédure de calcul de perte d’énergie. Ceci permet en premier lieu d’étalonner simultanément \(t\) et \(S\), à partir desquels on déduira d’une part directement la vitesse, et d’autre part la charge en utilisant les données fournies par la simulation.

Simulation du détecteur

Les caractéristiques des différentes couches du détecteur sont d’abord définies. Pour tenir compte de la contribution différente du signal selon la profondeur où les électrons sont libérés, l’épaisseur de gaz de la chambre à ionisation est subdivisée en couches successives avec un coefficient d’efficacité variant linéairement avec leur profondeur. Ensuite, pour un grand nombre de noyaux, on tire au hasard le temps de vol, le nombre de charge et le point d’impact qui déterminent leur vitesse et leur angle d’incidence. Un appel à la procédure de calcul de perte d’énergie donne alors l’amplitude théorique du signal \(S_t\) qui est convolué avec une Gaussienne, de même que le temps de vol, afin d’introduire les erreurs de mesure sur ces valeurs. Ce calcul apporte deux choses : d’abord l’histogramme théorique \((t,S_t)\) directement comparable avec son analogue expérimental \((t,S_e)\), mais aussi le tableau des valeurs \(t(S_t,Z)\), c’est celui-ci qui permettra d’accéder à la charge.

Ajustement des histogrammes

Les données dont nous disposons sont le temps de vol à une constante additive \(t_0\) près et le signal \(S_e\), reliable à \(S_t\) sous la forme \(S_t=aS_e+b\). Pour obtenir l’étalonnage de \(t\) et de \(S\), il suffit donc de déterminer ces constantes, ce qu’on réalise en les faisant varier jusqu’à ce que les histogrammes se superposent correctement, ce qui est vérifié en se servant comme repère des lignes de \(Z\) qu’on voit jusqu’à \(Z\sim\) 12, et de leur point de rebroussement. La figure II.6 permet de juger de l’accord simulation – expérience et de la qualité de l’ajustement.

Figure II.6
Fig. II.6 : Comparaison entre le spectre expérimental (points) et simulé (lignes de niveau). L’accord entre les lignes de \(Z\) et entre les points de rebroussement est à remarquer.
Calcul des données physiques

La vitesse est déduite directement, connaissant la distance cible-PPAC, du temps de vol. Pour la charge, on utilise le tableau \(t(S_t,Z)\) issu de la simulation, duquel on extrait le sous-tableau \(t(Z)\) associé au \(S_e\) mesuré. La charge est alors calculée par interpolation parabolique entre les valeurs de \(t\) les plus proches du temps de vol.

Quand la vitesse du fragment est trop faible, il est complètement arrêté dans la chambre à ionisation, et les lignes de \(Z\) retombent. Il s’ensuit que des charges différentes donnent des points au même endroit et il est donc impossible de les distinguer. Il ne faut donc pas effectuer d’identification dans ce cas, qu’on délimite par une courbe \(t=f(S_t)\). Sont aussi éliminées les particules qui touchent les parois de la chambre à ionisation ; seuls les coups localisés dans un carré de 25,8 × 25,8 cm2 au niveau du PPAC sont exploités. La résolution atteinte est visible figure II.7.

Figure II.7
Fig. II.7 : Résolution en charge obtenue sur l’ensemble des runs déclenchés en triple. La séparation entre les \(Z\) est visible jusqu’à 14-15.

II.3.iv Calibrage de l’amplitude du signal temps

Pour XYZt, l’amplitude du signal temps \(A_t\) sert seulement à lever des ambiguïtés, un calibrage grossier conviendra donc. Un fragment suffisamment rapide traverse entièrement le compteur, et sa vitesse est peu modifiée. Les amplitudes des signaux auxquels il donne lieu, d’une part dans le PPAC, et d’autre part dans la chambre à ionisation, dépendent essentiellement de sa charge, et sont donc approximativement proportionnelles entre elles. Le calibrage de \(A_t\) se fait tout simplement en le multipliant par une constante, de sorte que le coefficient de proportionnalité soit le même pour tous les modules.

Ceci étant fait, il est possible de savoir facilement si un fragment est arrêté dans la chambre à ionisation, puisque dans ces conditions, \(S\) est plus faible que prévu. De ce fait, on ne procédera pas à l’identification des particules pour lesquelles le rapport \(S_t/A_t\) est trop bas, car dans ce cas, comme expliqué dans la section précédente, les lignes de \(Z\) se recouvrent. Cette méthode est très avantageuse car des noyaux très lourds se trouvent mélangés à de très légers, déjà à une vitesse relativement grande, et le fait d’arrêter l’identification au-delà d’une courbe \(t=f(S_t)\) éliminerait beaucoup trop de fragments. La figure II.8 permet de voir l’effet produit par cette sélection.

Figure II.8
Fig. II.8 : Comparaison entre les spectres expérimentaux avant et après sélection avec l’amplitude du signal temps. On voit nettement que les lignes de \(Z\) qui se coupent aux grands temps de vol et petites amplitudes du signal ont presque complètement disparu.

II.3.v Calibrage des positions

Pour obtenir la position du point d’impact, on dispose de quatre temps, deux par coordonnée, définis à une constante additive près. Leur valeur est en fait la somme du temps de vol de la particule, et celui de transit du signal dans la ligne à retard. On traitera, plutôt que les valeurs mesurées, leur somme et leur différence pour une même coordonnée.

La différence donne, avec plus de précision qu’avec un temps unique — d’autant plus qu’on n’a pas besoin ainsi du temps de vol — une mesure de la position. Celle-ci sera obtenue par une transformation linéaire, dont les coefficients restent à déterminer. Pour cela, on utilise le fait que, de part la conception du détecteur, la différence prend des valeurs discrètes, c’est-à-dire que sa distribution présente un pic pour chaque groupe de fils. Après passage par un filtre de Fourier pour rendre les structures plus apparentes, on note le temps de chaque pic, et connaissant les coordonnées des fils, une régression linéaire fournit les coefficients de conversion.

La somme des temps, diminuée de deux fois le temps de vol, est en fait celui nécessaire pour traverser la ligne à retard entière, et devrait par conséquent rester constant, ce qui est très utile pour savoir si une seule particule a été détectée, car dans le cas contraire, il y aurait deux fils touchés, et le retard compris entre eux ne serait pas comptabilisé. Après avoir évalué la moyenne et l’écart type de la somme sur tous les événements, on calcule la somme pour chaque fragment, et si elle est trop éloignée de la moyenne — la limite choisie est 2,81 écarts types, ce qui donne un taux de réjection de bonnes particules de 0,5% — alors il est rejeté.

Il peut arriver qu’un seul signal soit enregistré pour une certaine coordonnée. Dans ce cas, on extrait quand même la position en soustrayant le temps mesuré de la somme moyenne. Le temps ainsi obtenu est alors utilisé de la même manière. La position est donc déterminée s’il y a au moins un signal par coordonnée.

II.3.vi Seuils et résolutions

Chaque détecteur délimite un angle solide de 0,043 sr, qui descend à 0,034 sr si on demande que la mesure de la charge soit possible. Les plus éloignés du faisceau sont partiellement occultés par le bâti de DELF, ce qui donne environ l’équivalent de 8 modules complets sur 12, soit à peu près 0,34 sr représentant 40% de l’angle solide défini par \(\theta\) < 30°

Les seuils et efficacités dans le plan vitesse-charge sont représentés figure II.9 pour l’identification et pour l’obtention du vecteur vitesse. Avec une résolution sur la position du point d’impact estimée à 0,3 cm à 1 écart standard, on arrive à une précision sur la direction d’émission de 0,1°, mais il faut ajouter à cela une erreur systématique due à l’incertitude sur la position des détecteurs. Pour la vitesse, on est limité par la dispersion en temps du paquet de faisceau et par la précision des codeurs à une résolution d’environ 0,8 ns à 1 écart standard, correspondant, pour une particule qui aurait la vitesse du projectile, au maximum à 0,3 cm/ns. Pour les fragments les plus légers, les lignes de \(Z\) sont bien séparées, et la résolution atteint facilement 0,2 à 1 écart standard, mais pour ceux comparables au projectile, elle va jusqu’à 1,5. A cela s’ajoute le fait que les erreurs sur la charge et sur la vitesse sont corrélées, comme on le voit sur la figure II.10 où le pic de l’élastique est représenté dans le plan vitesse-charge. Quant à l’erreur systématique, elle est pratiquement nulle pour les fragments les plus légers ou ceux proches du projectile, puisqu’ils ont servi à l’étalonnage, et elle est la plus grande pour les lourds et lents, tout en étant très difficiles à évaluer, bien qu’elle ne devrait pas dépasser 10%.

Figure II.9
Fig. II.9 : Efficacité de détection en fonction de la charge et de la vitesse pour la mesure de la vitesse (traits pleins pour successivement 15%, 50% et 85%) et pour l’identification (tirets).
Figure II.10
Fig. II.10 : Distribution de la charge et de la vitesse dans le cas de la diffusion élastique montrant la corrélation entre les erreurs de mesure. Les lignes de niveau représentent des valeurs de nombre de coups équidistants entre 0 et le maximum.

II.4 – Etalonnage des autres multidétecteurs

II.4.i Calibrage de DELF

DELF est calibré d’une manière analogue à XYZt, mais la mesure de la charge est faite avec l’amplitude du signal temps du compteur à avalanche au lieu de la perte d’énergie pour la chambre à ionisation. La référence en temps est fournie par la fission de l’or, pour laquelle la vitesse relative entre les deux fragments est en moyenne de 2,35 cm/ns. La charge est alors déterminée à partir d’un calcul de pénétration dans la matière [BOU87]. En ce qui concerne les positions, les limites du PPAC sont prises comme point de repère à la place des groupes de fils.

L’acceptance angulaire de chaque module varie suivant la couronne. Pour celle du milieu, elle est d’environ 0,64 sr. Les deux autres couronnes avant et arrière sont plus éloignées, et l’angle solide sous-tendu par chaque détecteur n’est que de 0,23 sr. Tout ceci représente près de 55% de l’angle solide défini par 30° < \(\theta\) < 150°. Le seuil en vitesse est placé à 0,6 cm/ns (\(E/A\simeq\) 0,2 MeV) et celui en charge à 5 pour les vitesses les plus petites, mais peut monter 15 pour les plus grandes. La résolution sur la position du point d’impact est estimée à 0,6 cm à 1 écart standard, ce qui donne une précision angulaire de 1,4° ou 0,7° selon la couronne, non comprises les erreurs résultant de l’incertitude sur la position des modules dans l’espace. La résolution en vitesse est de l’ordre de 0,05 cm/ns à 1 écart standard, et celle en charge est voisine de 20% à 1 écart standard pour les vitesses moyennes (~ 1,2 cm/ns), mais atteint facilement 40% pour les plus faibles.

II.4.ii Calibrage du Mur de plastique

Le calibrage du Mur est effectué en utilisant un point particulier dans le plan \((t,Q)\) — \(t\) étant le temps de vol et \(Q\) étant proportionnel à l’énergie lumineuse totale reçue par le photomultiplicateur — qui se trouve sur la ligne des particules α, et qui est situé au maximum de \(Q\) : c’est le point de rebroussement. Il permet d’obtenir la constante à ajouter pour avoir le temps de vol absolu, et de donner l’échelle pour \(Q\) de sorte que toutes les matrices \((t,Q)\) de tous les scintillateurs soient superposables. Pour identifier les particules, il suffit alors de tracer des contours délimitant les domaines qui ne contiennent que celles qui nous intéressent.

Le Mur est sensible aux particules de charge 1 à 7, avec un seuil en vitesse de 4,5 cm/ns (\(E/A\simeq\) 9,5 MeV) pour les protons, 4,8 cm/ns (\(E/A\simeq\) 11 MeV) pour les α et 5,5 cm/ns (\(E/A\simeq\) 13,5 MeV) pour les particules les plus lourdes. Il est possible d’avoir un seuil plus bas pour les protons et les α, mais il faut alors renoncer à les identifier à certaines vitesses. En pratique, il n’y a pas de limitation supérieure car les particules ne sont pas trop rapides. A cause de l’ombre portée par l’encadrement de XYZt, de son bâti et des fils, tout l’angle solide n’est pas couvert, et des éléments du Mur sont même presque complètement masqués. Par conséquent, l’efficacité totale, seuils non compris, n’est que d’environ 70%. La mesure de la vitesse a une résolution de 0,2 cm/ns à 1 écart standard près de la vitesse du projectile, et celle de la direction d’émission étant discrétisée, a une précision déterminée par l’angle solide des éléments qui va de 0,002 sr à 0,02 sr du centre vers l’extérieur, soit de l’ordre de 1° à 4°.

II.4.iii Calibrage du tonneau

Pour le calibrage du Tonneau, il faut d’abord commencer par l’angle polaire \(\theta\) qui, par construction, est donné à une constante additive près par la différence entre les temps d’arrivée des impulsions à chaque bout de la latte. Cette constante se trouve en faisant coïncider les domaines angulaires mesuré et réel. Une fois déterminé le point d’impact, on connaît la distance à parcourir par la lumière pour atteindre un photomultiplicateur, ce qui permet d’obtenir le \(Q\) corrigé de l’atténuation. Le temps de vol est égal, à une constante additive près, à la moyenne des deux temps de chaque extrémité. Disposant de \(t\) et de \(Q\), il ne reste plus qu’à faire comme pour le Mur en utilisant le point de rebroussement de la ligne des α.

Le Tonneau utilise la même matière scintillante que le Mur, donc ses seuils sont aussi les mêmes. La quantité supplémentaire qu’il fournit est \(\theta\), d’une résolution d’environ 2° à 1 écart standard, alors que celle de l’angle azimutal est de l’ordre de 5°. Il est aussi partiellement masqué par DELF.

II.5 – Traitement des données hors ligne

II.5.i Etapes du traitement

Les données stockées sur la bande magnétique doivent être relues afin d’accéder aux données physiques. Ce processus est analogue, en sens inverse, à celui qui s’est déroulé pendant l’expérience. Pour commencer, les mots binaires sont décodés, et fournissent les numéros de canal des codeurs et divers renseignements comme les VSN et le mot d’état du module de décision rapide. Dans l’étape suivante il s’agira de transformer ces données numériques en valeurs analogiques caractérisant les signaux tels qu’ils se trouvaient dans le circuit électronique. Ceci est fait simplement par multiplication par les pentes d’étalonnage, et éventuellement par addition d’une constante. C’est alors qu’intervient la partie la plus importante qui consiste, connaissant le type de détecteur et sa fonction de réponse, à remonter aux quantités physiques des particules. Les principes de base de ce traitement ont déjà été évoqués dans les deux paragraphes précédents.

A ce moment là, il ne reste plus que des données dépendant le moins possible de la façon dont elles ont été mesurées, et qu’il faudra classer, puis écrire sur d’autres bandes magnétiques afin de ne pas tout recommencer à chaque analyse. A la relecture de ces bandes, des observables plus complexes seront calculées, et utilisées pour élaborer des figures ou remplir des tableaux de nombres, et cela pour des événements sélectionnés suivant des critères adéquats.

II.5.ii Sélection des particules

Il n’est pas toujours possible de mesurer toutes les quantités physiques associées à une particule donnée, notamment à cause des seuils, mais souvent une ou deux valeurs seulement sont accessibles. Selon la nature de celles-ci, les particules se rangent dans une ou plusieurs de ces catégories :

Cat. A : charge et vecteur vitesse
Cat. B : vecteur vitesse
Cat. C : norme de la vitesse uniquement

Pour chaque catégorie il y a une multiplicité comptant, dans un événement, le nombre de particules lui appartenant. On a trivialement \(M_A\leqslant M_B\leqslant M_C\). Pour prendre un exemple, les particules dont la direction d’émission est connue se trouvent dans les catégories A et B, et il y en a un nombre égal à la multiplicité B. Ce classement a été choisi d’une part pour son utilité pendant l’exploitation des résultats, car dans certains cas toutes les variables ne sont pas nécessaires, et d’autre part parce que les méthodes de mesure ne donnent pas par exemple la charge et la vitesse sans la direction d’émission.

Pour XYZt, chaque catégorie correspond à un cas de figure différent lors de la traversée d’un détecteur. En A, la particule a traversé la chambre à ionisation, et sa charge a pu être déterminée, sinon on se retrouve en B, comprenant aussi le cas où elle est seulement parvenue dans la partie sensible à la position. Si elle ne peut aller plus loin que le plan mesurant le temps, on est alors en C.