CHAPITRE IV
THEORIE ET SIMULATIONS
L’examen des données a permis de dégager les mécanismes les plus appropriés pour les interpréter, mais l’effet des coupures expérimentales peut nous avoir envoyés sur une mauvaise piste, et toutes les vérifications n’ont pas été faites, si elles n’ont pas simplement été rendues impossibles justement à cause des coupures. L’étape suivante consiste à, partant des hypothèses sur les mécanismes, effectuer des calculs théoriques à partir de leurs caractéristiques connues ou extrapolées en tenant compte de l’acceptance des détecteurs, et de comparer le résultat avec l’expérience afin de tester ce qui n’a pas encore pu l’être.
IV.1 – Le mécanisme de dissipation
IV.1.i Variables macroscopiques
La diffusion dissipative est essentiellement un phénomène collectif, au cours duquel les deux noyaux conservent leur identité [SC84]. La première étape pour la décrire consiste donc à choisir les variables macroscopiques les mieux adaptées à cela, et de chercher les équations du mouvement pour celles-ci. On utilise généralement la distance \(r\) entre les centres des noyaux, l’angle d’inclinaison \(\theta\) du système dinucléaire, et l’angle de rotation \(\theta_1\) et \(\theta_2\) de chacun des partenaires de la réaction par rapport à leur position d’origine. En plus de cela, il faut un potentiel \(V\) exprimé en fonction des variables collectives. Le Lagrangien pour le système de variables indiqué s’écrit : \[{\scr L}=\frac12\mu\dot r^2+\frac12\mu r^2\dot\theta^2+\frac12J_1\dot\theta_1^2+\frac12J_2\dot\theta_2^2+V(r)\] où \(\mu\) est la masse réduite et \(J_{1,2}\) les moments d’inertie des deux noyaux. D’autres variables comme des paramètres de déformation, l’énergie d’excitation ou d’autres angles peuvent être utilisés en plus pour avoir une description plus précise. Afin d’introduire quantitativement la dissipation d’énergie et le transfert de moment angulaire, il est aussi nécessaire de faire intervenir les degrés de liberté microscopiques.
Les équations du mouvement se résolvent par différentes méthodes. La première consiste à ajouter au Lagrangien une fonction de Rayleigh, soit obtenue par un modèle microscopique [RA78b], soit mise à la main [GR78]. On peut aussi arriver à des équations stochastiques, ou de Langevin, en traitant par exemple explicitement les échanges de nucléons [RA78a, RA79]. Cela permet d’introduire les fluctuations dues à la dissipation. Enfin il est aussi possible d’obtenir des équations de transport, ou de Fokker-Planck [AG77, AG79] qui déterminent l’évolution de la densité de probabilité de toutes les variables dans le temps.
IV.1.ii Echange de nucléons
Les distributions de charge et de masse après la réaction sont des Gaussiennes centrées près des masses et des charges initiales, et dont la largeur augmente avec l’énergie dissipée. Le modèle d’échange de nucléons explique cette caractéristique. Il postule que, quand les noyaux se touchent, une fenêtre s’ouvre entre eux par laquelle les nucléons animés par le mouvement de Fermi passent de l’un à l’autre. A la fin de l’interaction, la distribution de masse et de charge dépend du nombre total de transferts \(N\). L’application directe du théorème central limite donne la loi de probabilité : \[p(A)={1\over\sqrt{2\pi N}}e^{-(A-A_0)^2/2N}\] \(A_0\) étant proche de la masse du noyau initial, puisque pour un seul transfert, \(A\) varie de +1 ou de -1 avec des probabilités quasiment identiques.
Cependant, ce raisonnement est seulement schématique car il ne peut pas être testé, faute de pouvoir mesurer indépendamment le nombre de transferts, qui d’ailleurs, dans le cas de particules indiscernables, manque de définition évidente. Il a aussi été suggéré que la largeur de la distribution serait plutôt liée à la température du système dinucléaire [GR85].
IV.1.iii Partage de l’énergie d’excitation
Le partage de l’énergie dissipée entre les deux noyaux peut se faire de différentes façons, soit en deux parties égales, soit proportionnel aux masses finales, soit enfin dans tous les cas intermédiaires. Les résultats expériemntaux tendent à montrer que la répartition égale se produit plutôt pour les faibles pertes d’energie, et celle en proportion des masses — ce qui veut dire que les deux noyaux ont la même température — pour les plus grandes, qui correspondent aussi à des temps d’interaction plus grands, et donc où l’équilibre thermique est plus facilement atteint [WILC89, PEN90]. Elle dépend aussi du flux net de nucléons, comme l’on mis en évidences des expériences récentes [SOH85, SO87, GA88, TO91] réalisées pour les faibles pertes d’énergie cinétique. Elles nous apprennent que le noyau qui a reçu le plus de nucléons est celui qui est le plus excité.
IV.2 – Décroissance d’un noyau excité
IV.2.i Formalisme de Weisskopf
La décroissance d’un noyau est une suite de transitions par lesquelles des particules, nucléons, noyaux, photons ou électrons sont émis. Le formalisme de Weisskopf [WE37] s’applique au cas des nucléons. Selon la règle d’or de Fermi, la probabilité d’émission par unité de temps pour une énergie cinétique relative \(E\) est donnée par : \[{d^2P(E)\over dt~dE}={2\pi\over\hbar}|T|^2\rho_f\] où \(T\) est l’élément de matrice de l’opérateur de transition et \(\rho_f\) la densité d’états finaux, qui s’écrit comme le produit des densités d’états pour le mouvement relatif et pour le noyau final : \[\rho_f={4\pi\Omega\over(2\pi\hbar)^3}\mu p\times\omega_f(E^*-E)~;\quad E^*=E^\times-Q\] où \(\Omega\) est le volume d’émission, \(\mu\) la masse réduite noyau-particule, \(p=\sqrt{2\mu E}\) leur impulsion relative, \(E^\times\) l’énergie d’excitation initiale, et \(Q\) le bilan de masse. Le principe de la balance détaillée spécifie que les éléments de matrice pour les processus direct et inverse sont identiques, et permet donc de les déterminer à partir de la section efficace de capture d’une particule de vitesse \(v=\sqrt{2E/\mu}\) dans le volume \(\Omega\) : \[\sigma_{inv}={\Omega\over v}{2\pi\over\hbar}|T|^2\omega_i(E^\times)\] \(\omega_i\) étant la densité d’états du noyau d’origine. La probabilité de transition devient alors : \[{d^2P(E)\over dt~dE}={\mu E\over\pi^2\hbar^3}\sigma_{inv}{\omega_f(E^*-E)\over\omega_i(E^\times)}\] On a d’autre part : \[\sigma_{inv}=\pi{\hbar^2\over p^2}\sum_{\ell=0}^\infty(2\ell+1)T_\ell(E)\] avec \(T_\ell\) le coefficient de transmission pour l’onde partielle de moment angulaire \(\hbar\ell\) en fonction de l’énergie relative incidente \(E\). A présent, tout est réuni pour faire le calcul séparément pour chaque \(\ell\), il faudra dans ce cas faire intervenir tous les états de spin possible du noyau final et la dépendance par rapport à ceux-ci de la densité d’états \(\omega_f\) : \[{d^2P(E)\over dt~dE}={1\over2\pi\hbar}\sum_{\ell=0}^\infty(2\ell+1)T_\ell(E) \sum_{I_f=|I_i-\ell|}^{I_i+\ell}{\omega_f(E^*-E,I_f)\over\omega_i(E^\times,I_i)}\] \(I_i\) et \(I_f\) sont les spins initial et final du noyau, celui de la particule étant négligé.
Plusieurs approximations sont maintenant possibles. D’abord dans celle de la coupure franche, tous les \(T_\ell\) sont égaux à 1 jusqu’au \(\ell\) d’effleurement, à partir duquel ils sont nuls : \[\ell_{eff}(\ell_{eff}+1)=2\mu R^2(E-B)/\hbar^2\] où \(B\) est la hauteur de la barrière Coulombienne et \(R\) son rayon. Ensuite, les moments angulaires suffisamment élevés peuvent être traités de manière classique [VA86]. Nous obtenons ainsi : \[{d^4P(E,\vec n)\over dt~dE~d\vec n}={1\over2\pi\hbar}\intop_{\ell\lt\ell_{eff}}d\vec\ell~\delta(\vec n\cdot\vec\ell) {\omega_f(E^*-E,\vec I-\vec\ell)\over\omega_i(E^\times,\vec I)}\] pour l’émission d’une particule dans la direction \(\vec n\), où maintenant \(\vec I\) et \(\vec\ell\) sont des variables vectorielles continues. L’intégration sur \(\vec n\), en utilisant \(\int d\vec n~\delta(\vec n\cdot\vec\ell)=2\pi/\ell\), donne pour le taux d’émission dans toutes les directions : \[{d^2P(E)\over dt~dE}=\frac1\hbar\intop_{\ell\lt\ell_{eff}}{d\vec\ell\over\ell}{\omega_f(E^*-E,\vec I-\vec\ell)\over\omega_i(E^\times,\vec I)}\] Pour un \(\vec\ell\) donné, ce taux ne dépend pas de \(\vec n\) du moment qu’ils sont orthogonaux, car \(\vec n\) n’apparaît que dans la fonction \(\delta\).
IV.2.ii Extension aux particules plus complexes : formalisme de « Weisskopf-Fong-Ericson »
Si en plus des nucléons, on veut faire intervenir l’émission de noyaux plus complexes, ce qui est nécessaire dans le cas des énergies d’excitation plus élevées, alors la modification essentielle consiste à introduire leur structure interne par leur densité d’état et leur spin [FO53, FO56, ER60], et par conséquent à chercher une expression plus symétrique. La densité d’état \(\omega_f\) est alors remplacée par le produit de convolution \(\omega_1\otimes\omega_1\) dans l’espace de l’énergie d’excitation et du spin, soit : \[{d^2P(E)\over dt~dE}=\frac1\hbar\intop_{\ell\lt\ell_{eff}}{d\vec\ell\over\ell}\intop_0^{E^*-E}d\varepsilon_1\intop d\vec I_1 {\omega_1(\varepsilon_1,\vec I_1)\omega_2(E^*-E-\varepsilon_1,\vec I_0-\vec I_1-\vec\ell)\over\omega_0(E^\times,\vec I_0)}\] où cette fois \(B\) est la hauteur de la barrière de fusion et \(R\) la distance relative à laquelle se trouve son maximum, les indices 0, 1 et 2 étant pris respectivement pour le noyau initial et les deux noyaux finaux. Dans le cas de l’émission d’une particule légère sans état excité, on a \(\omega_1(\varepsilon_1,\vec I_1)=\delta(\varepsilon_1)\delta^3(\vec I_1)\), et on retrouve l’équation précédente.
La différence entre ce modèle et celui des états de transition est le moment où la densité d’états finaux est évaluée. Ici, c’est quand les deux fragments sont infiniment éloignés — ou ce qui est strictement équivalent, au point de scission, en accord avec le théorème de Liouville, car ces deux situations sont déductibles l’une de l’autre par une trajectoire Coulombienne — et non plus au point selle. De cette façon, les distributions angulaires sont mieux reproduites dans le cas des grands spins et des grandes énergies d’excitation initiales [RO84, RO86]. En outre, il n’est plus fait appel à la condition de rotation rigide, mais tous les états possibles de spin sont inclus, ce qui est d’avantage justifié aux températures élevées.
IV.3 – Simulations
IV.3.i La méthode de Monte Carlo
Il semble que ce soit le naturaliste bourguignon Buffon (1707-1788) qui ait utilisé le premier la méthode de Monte Carlo. Il a ainsi calculé le nombre \(\pi\) en laissant tomber un très grand nombre de fois une aiguille sur les lattes d’un parquet. Elle se définit habituellement de deux façons bien différentes. La première déclare que c’est une méthode d’intégration : écrivons l’intégrale à calculer comme suit : \[I=\int_D f(\xi)\rho(\xi)d\xi~;\quad\int_D\rho(\xi)d(\xi)=1\] \(\xi\) étant une variable simple ou multidimensionnelle et \(D\) un domaine quelconque. \(I\) est approximé par une somme, comme dans les méthodes numériques usuelles, mais en des points \(\xi_i\) aléatoires dans \(D\) avec la densité de probabilité \(\rho(\xi)d(\xi)\) : \[I\simeq\frac1N\sum_{i=1}^N f(\xi_i)\]
L’erreur sur \(I\) est proportionnelle à \(N^{-1/2}\). L’intérêt de procéder ainsi se manifeste dès que la dimension \(n\) de l’espace des \(\xi\) est plus grande que 4, car dans ce cas les méthodes classiques deviennent beaucoup trop lourdes, et même inefficaces car leur erreur est proportionnelle à \(N^{-2/n}\). D’après l’autre définition, on nomme Monte Carlo simplement toute méthode faisant appel au hasard, d’où son nom qui désigne un lieu où elle est utilisée pour gagner de l’argent !
Ces deux définitions sont en fait équivalentes, car tout problème qui peut se résoudre avec le hasard, peut aussi s’énoncer comme le calcul d’une intégrale. En effet, si le résultat \(R\), de nature quelconque, dépend des \(N\) variables aléatoires \(\xi_i\) distribuées uniformément entre 0 et 1 — c’est suffisant car toute autre densité de probabilité est réalisable à partir de celle-ci — alors on peut écrire : \[R=\int_{[0,1]^N}f(\xi_1,\xi_2,\dots,\xi_N)\prod_{i=1}^N d\xi_i\] La méthode de Monte Carlo est donc utilisable directement dans une simulation où certaines variables ne sont pas fixées mais possèdent une distribution statistique, ou bien où certains événements se produisent avec une probabilité donnée.
Dans le cas qui nous intéresse ici, la nature du problème ne permet pas d’obtenir des expressions analytiques, de sorte que c’est la seule méthode applicable en pratique.
IV.3.ii Décroissance d’un noyau chaud
Les équations du IV.3 servent de base au programme Monte Carlo MISS qui permet de simuler toute la chaîne de décroissance [MA88], pour la première fois à partir de ce formalisme. Il faut d’abord introduire les différents paramètres utilisés. Pour la densité d’états, on prend celle de Bethe pour un gaz de Fermi [GI65], adaptée aux moments angulaires intrinsèques classiques [ER58] : \[\omega(\varepsilon,\vec I)={\sqrt\pi\over12}{\exp\{2\sqrt{a\varepsilon}-\vec I^2/2\sigma^2\}\over a^{1/4}\varepsilon^{5/4}(2\pi\sigma^2)^{3/2}}\] où \(a={A\over15,54~{\rm MeV}}(1+2,7A^{-1/3}+2,3A^{-2/3}-3,3A^{-1}+4,8A^{-4/3})\) [SH92] est le paramètre densité de niveaux, et \(\sigma^2=0.0888\sqrt{a\varepsilon}A^{2/3}/\hbar^2\equiv J\sqrt{\varepsilon/a}/\hbar^2\) [GI65], \(J\) étant le moment d’inertie effectif du noyau de nombre de masse \(A\). Les masses de l’état fondamental utilisées sont expérimentales pour les particules légères, sinon elles sont calculées par le modèle de gouttelettes à portée finie [MO88] sans les corrections de couche et d’appariement.
Pour le rayon, on prend tout simplement la distance entre deux sphères en contact : \[R=[1,2(A_1^{1/3}+A_2^{1/3})+2]~{\rm fm}\] et pour la barrière : \[B={1\over4\pi\varepsilon_0}{Z_1Z_2e^2\over1,44~{\rm fm}(A_1^{1/3}+A_2^{1/3})}-\Delta B\] où la paramétrisation de \(\Delta B\) est donnée dans [SW81].
La première étape consiste à calculer la probabilité de chaque partition en deux noyaux, qui est proportionnelle au taux d’émission intégré sur l’énergie relative. Pour cela on tire parti de la forme particulière de la densité d’état pour effectuer une intégration analytique à l’aide de quelques approximations. Pour la première, on considère que le plus souvent, les températures des deux noyaux sont égales et donc que : \(\varepsilon_1/a_1=\varepsilon_2/a_2=(E^*-E)/(a_1+a_2)\equiv T^2\), ce qui conduit à l’intégration sur \(\vec I_1\) : \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi\over144}{1\over(a_1a_2)^{1/4}}\intop_B^{E^*}dE \intop_0^{E^*-E}d\varepsilon_1{\exp\{2\sqrt{a_1\varepsilon_1}+2\sqrt{a_2(E^*-E-\varepsilon_1)}\}\over[\varepsilon_1(E^*-E-\varepsilon_1)]^{5/4}}\times\\ {1\over(4\pi\sigma_1^2\sigma_2^2)^{3/2}}\intop_{\ell\lt\ell_{eff}}{d\vec\ell\over\ell}\intop d\vec I_1 \exp\left\{-{\vec I_1^2\over2\sigma_1^2}-{(\vec I_0-\vec I_1-\vec\ell)^2\over2\sigma_1^2}\right\}; \end{multline}\] \[\sigma_1^2=J_1T/\hbar^2~;\quad\sigma_2^2=J_2T/\hbar^2\] \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi\over144}{1\over(a_1a_2)^{1/4}}\intop_B^{E^*}dE \intop_0^{E^*-E}d\varepsilon_1{\exp\{2\sqrt{a_1\varepsilon_1}+2\sqrt{a_2(E^*-E-\varepsilon_1)}\}\over[\varepsilon_1(E^*-E-\varepsilon_1)]^{5/4}}\times\\ {\hbar^3\over(2\pi JT)^{3/2}}\intop_{\ell\lt\ell_{eff}}{d\vec\ell\over\ell}\exp\left\{-{\hbar^2(\vec I_0-\vec\ell)^2\over2JT}\right\}~;\quad J=J_1+J_2 \end{multline}\] Dans la région où l’intégrande est le plus grand, \(T\) ne varie pas beaucoup, de sorte qu’on le considère constant pour pouvoir inverser l’ordre d’intégration sur \(\vec\ell\) et \(E\) : \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi\hbar^2\over144}{1\over(a_1a_2)^{1/4}}{1\over(2\pi JT)^{3/2}} \intop{d\vec\ell\over\ell}\exp\left\{-{\hbar^2(\vec I_0-\vec\ell)^2\over2JT}\right\}\times\\ \intop_{B+\ell^2/2\mu R^2}^{E^*}dE\intop_0^{E^*-E}d\varepsilon_1 {\exp\{2\sqrt{a_1\varepsilon_1}+2\sqrt{a_2(E^*-E-\varepsilon_1)}\}\over[\varepsilon_1(E^*-E-\varepsilon_1)]^{5/4}} \end{multline}\] Le calcul de l’intégrale sur \(\varepsilon_1\) constitue la principale difficulté. Il est effectué numériquement par la technique de réjection dont voici le principe : on remplace l’intégrale par une constante égale à son maximum, atteint comme précédemment quand \(\varepsilon_1/a_1=\varepsilon_2/a_2\) si l’on néglige l’influence du dénominateur, petite devant celle de l’exponentielle. On obtient ainsi l’expression : \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi\hbar^2\over144}{1\over(a_1a_2)^{1/4}}{1\over(2\pi JT)^{3/2}} \intop{d\vec\ell\over\ell}\exp\left\{-{\hbar^2(\vec I_0-\vec\ell)^2\over2JT}\right\}\times\\ \intop_{B+\ell^2/2\mu R^2}^{E^*}dE~(E^*-E){\exp\{2\sqrt{a(E^*-E)}\}\over\left[{a_1a_2\over a^2}(E^*-E)^2\right]^{5/4}}~;\quad a=a_1+a_2 \end{multline}\] avec laquelle on calcule le taux d’émission pour chaque partition possible. On choisit alors successivement, la partition avec une probabilité proportionnelle au taux d’émission, \(\vec\ell\), \(E\) et enfin l’énergie d’excitation des noyaux uniformément entre 0 et \(E^*-E\), conformément à la substitution qui a été faite. C’est à ce moment que s’effectue la réjection avec une probabilité liée au rapport des probabilités réelle et utilisée : \[p=1-\exp\left\{2\sqrt{a_1\varepsilon_1}+2\sqrt{a_2(E^*-E-\varepsilon_1)}-2\sqrt{a(E^*-E)}\right\} \left[{{a_1a_2\over a^2}(E^*-E)^2\over\varepsilon_1(E^*-E-\varepsilon_1)}\right]^{5/4}\] En cas de réjection, on repart du début, mais les probabilités de chaque partition ne sont à calculer qu’une seule fois. Cette technique donne un taux de réjection moyen énorme, mais comme le nombre de partitions possibles est très grand, l’économie faite sur le calcul de leur probabilité permet tout de même un gain d’efficacité, et on bénéficie en prime d’une méthode exacte.
Cela dit, reprenons le cours du calcul par l’intégrale de \(E\). La valeur de l’intégrande étant la plus grande à la borne inférieure, on fait un développement au premier ordre de l’argument de l’exponentielle autour de celle-ci, et pour le reste qui ne varie que faiblement, on le remplace tout simplement par sa valeur à la borne. De plus, on repousse la borne supérieure à l’infini : \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi\hbar^2\over144}{a^2\over(a_1a_2)^{3/2}}{1\over(2\pi JT)^{3/2}}\times\\ \intop{d\vec\ell\over\ell}\exp\left\{-{\hbar^2(\vec I_0-\vec\ell)^2\over2JT}\right\} {\exp\{2\sqrt{a(E^*-B-\hbar^2\ell^2/2\mu R^2)}\}\over E^*-B-\hbar^2\ell^2/2\mu R^2} \end{multline}\] comme \(\hbar^2\ell^2/2\mu R^2\ll E^*-B\), on développe la racine carrée au premier ordre : \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi\hbar^2\over144}{a^2\over(a_1a_2)^{3/2}}{1\over(2\pi JT)^{3/2}}\exp\{2\sqrt{a(E^*-B)}\}\times\\ \intop{d\vec\ell\over\ell} {\exp\left\{-{\hbar^2(\vec I_0-\vec\ell)^2\over2JT}-{\hbar^2\ell^2\over2\mu R^2T}\right\}\over E^*-B-\hbar^2\ell^2/2\mu R^2} \end{multline}\] La valeur de \(\vec\ell\) la plus probable est donnée approximativement par la condition de rotation rigide, \(\vec L={\mu R^2\vec I_0\over J+\mu R^2}\). En introduisant cette valeur au dénominateur, il est possible de le sortir de l’intégrale qu’on effectue alors : \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi\hbar^2\over144}{a^2\over(a_1a_2)^{3/2}}{1\over(2\pi JT)^{3/2}}{\exp\{2\sqrt{a(E^*-B)}\}\over E^*-B-\hbar^2L^2/2\mu R^2}\times\\ 4\pi{JT\over\hbar I_0}\exp\left\{-{\hbar^2I_0^2\over2(J+\mu R^2)T}\right\} \sqrt{2J\mu R^2T\over J+\mu R^2}\intop_0^{\sqrt{\mu R^2\over2J(J+\mu R^2)T}\hbar I_0}dx~e^{-x^2} \end{multline}\] soit en posant : \(E^*-B-\hbar^2L^2/2\mu R^2=aT^2\) \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi^2\hbar^2\over36}{a\over(a_1a_2)^{3/2}}{1\over (2\pi)^{3/2}J^{1/2}T^{5/2}} \exp\left\{2\sqrt{a(E^*-B)}-{\hbar^2I_0^2\over2(J+\mu R^2)T}\right\}\times\\ {1\over\hbar I_0}\sqrt{2J\mu R^2T\over J+\mu R^2}\intop_0^{\sqrt{\mu R^2\over2J(J+\mu R^2)T}\hbar I_0}dx~e^{-x^2} \end{multline}\] Finalement, on corrige partiellement l’erreur introduite dans le développement de la racine carrée, en même temps que celle due à l’approximation qui a donné la densité d’états, en rentrant de manière inverse le terme en \(I_0^2\) sous le radical, d’où l’expression finale : \[\begin{multline} \omega_0{dP\over dt}\simeq{\pi^2\hbar^2\over36(2\pi)^{3/2}}{a\over\sqrt{(a_1a_2)^3JT^5}}\exp\left\{2\sqrt{a\left(E^*-B-{\hbar^2I_0^2\over2(J+\mu R^2)}\right)}\right\}\times\\ {1\over\hbar I_0}\sqrt{2J\mu R^2T\over J+\mu R^2}\intop_0^{\sqrt{\mu R^2\over2J(J+\mu R^2)T}\hbar I_0}dx~e^{-x^2} \end{multline}\]
On procède donc de la façon suivante : pour chaque noyau, on calcule la probabilité de toutes les partitions possibles à l’aide de la formule précédente. On choisit alors une partition selon ces probabilités puis on génère successivement \(\vec\ell\), \(E\) et \(\varepsilon_1\) selon les distributions données par leur intégrale dans les équations précédentes. S’il n’y a pas de réjection, on continue avec \(\vec I_1\) et la direction \(\vec n\) qui est prise uniformément dans le plan normal à \(\vec\ell\). Enfin les vitesses des deux noyaux sont mises à jour à partir de \(E\) et de \(\vec n\). Pour les particules légères (\(A\) < 5), on utilise les mêmes équations, sauf que le problème est simplifié par le fait qu’elles ne peuvent prendre qu’une énergie d’excitation et un spin nuls.
Cette procédure est répétée pour chacun des deux noyaux créés qui n’est pas stable par émission de particule, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils le soient tous.
La figure IV.1 donne un exemple de calcul de la distribution de masse avec un noyau de 131Xe.
IV.3.iii Collisions dissipatives
Pour les collisions dissipatives, il existe déjà un grand nombre de programmes basés sur des méthodes diverses, et qui suivent toute l’évolution au cours de la réaction. Mais pour le but que nous nous sommes fixé, ils ne sont pas très avantageux, d’abord à cause de leur lourdeur, mais aussi parce qu’ils ne reproduisent pas forcément bien l’expérience, et qu’il n’est pas très simple d’ajuster les paramètres, car ceux-ci ont un lien obscur avec les observables finales. Tous ces inconvénients peuvent être contournés en partant de paramétrisations de systématiques expérimentales et leur extrapolation au domaine étudié, et en complétant par quelques relations générales simples, ce qui permet de disposer d’un générateur d’événements Monte Carlo.
La variable de départ est le moment angulaire incident, ou le paramètre d’impact, qu’on choisit au hasard selon la distribution \(f(\ell)d\ell\propto\ell~d\ell\). En fonction de celui-ci, le traitement se sépare en deux catégories, quasi-élastique et profondément inélastique, avec une transition douce entre les deux, résultant d’une interpolation à partir d’une fonction de Fermi de la distance minimale d’approche Coulombienne de deux charges ponctuelles, et qui paramétrise la densité de la zone de recouvrement.
Pour le quasi-élastique, l’énergie cinétique et le moment angulaire dissipés sont nuls. L’énergie d’excitation (qui apparaît en fait uniquement à cause de la transition avec le profondément inélastique) est répartie entre le noyau donneur et le noyau receveur d’un nucléon selon la proportion 35%–65% [EN86]. Enfin les distributions de charge et de masse sont centrées sur celles des noyaux initiaux.
Pour le profondément inélastique, l’énergie cinétique totale est donnée dans la limite de l’amortissement complet par : \[TKE={\hbar^2\ell_f^2\over2\mu R_{AF}^2}+{1\over4\pi\varepsilon_0}{Z_pZ_ce^2\over R_{AF}}\] où \(\mu\) est la masse réduite, \(\ell_f\) le moment angulaire orbital restant, déterminé par la condition de rotation rigide : \(\ell_f=\mu R_{AF}^2\ell/(J_p+J_c+\mu R_{AF}^2)\) avec \(J=\frac25MR^2\) le moment d’inertie d’un noyau de masse \(M\) et de rayon \(R\), et \(R_{AF}\) le rayon d’absorption forte : \(R_{AF}=[1,2(A_p^{1/3}+A_c^{1/3})+2]~{\rm fm}\). Pour les plus petits \(\ell\), cette loi est remplacée par une fonction linéaire, telle que pour \(\ell=0\), \(TKE\) soit égal à la systématique de Viola [VI85] : \[TKE(\ell=0)=4Z_pZ_c(0,1071/A_{tot}^{1/3}+22,3/Z_{tot}^2)~{\rm MeV},\] et tangente à la loi précédente, et cela afin de tenir compte de la déformation qui se produit aux plus petits paramètres d’impact. L’énergie d’excitation est répartie en proportion des masses. Pour les charges, on se place dans la limite de l’équilibre isotopique [FR84], et on utilise le modèle de la goutte liquide pour paramétriser le potentiel en fonction de la partition de la charge : \[\begin{multline} V(Z_p,Z_c)=a_c\left[{Z_p(Z_p-1)\over A_p^{1/3}}+{Z_c(Z_c-1)\over A_c^{1/3}}\right]+ a_s\left[{A_p-2Z_p\over A_p}+{A_c-2Z_c\over A_c}\right]+\\ {1\over4\pi\varepsilon_0}{Z_pZ_ce^2\over R_{AF}} \end{multline}\] La distribution de charge pour une masse donnée est Gaussienne avec pour moyenne la valeur \(Z_0\) telle que \({\partial V\over\partial Z}(Z_0)=0\) et pour variance : \[\sigma_Z^2(A)=T/{\partial^2V\over\partial Z^2}(Z_0)\] où \(T=\sqrt{8~{\rm MeV}(E_{cm}-TKE)/A_{tot}}\) est la température du système.
Le calcul se déroule comme suit. Connaissant \(\ell\), on commence par traiter l’émission des particules de prééquilibre, ce qui aura pour effet de changer les caractéristiques du système. La masse du projectile et l’énergie incidente dans le centre de masse sont données par une paramétrisation d’un calcul théorique de Harp et Miller [CE88] : \[A_p\leftarrow A_p-0,96\left({\mu\over u}\right)^{5/4}[1-\exp\{-uE_{cm}^R/(0,736\mu A_c)\}]\] \[E_{cm}\leftarrow E_{cm}^T+6,8A_c^{-1/3}A_p\left({\mu\over u}\right)^{2/3} \left[1-\exp\left\{-E_{cm}^R/\left(350\left({\mu\over u}\right)^{2/3}\right)\right\}\right]\] \(E_{cm}^R\) et \(E_{cm}^T\) étant respectivement les composantes radiale et transverse de l’énergie incidente au contact. Les moments linéaire et angulaire incidents sont réduits d’un même facteur : \[f=1-\exp\left\{-A_pP_M/\sqrt{2\mu E_{cm}^R}\right\}~;\quad P_M=170~{\rm MeV/c}\] qui assure un moment linéaire transféré maximum égal à \(A_pP_M\). Enfin le rapport entre la masse et la charge du projectile est conservé.
Après on calcule \(\ell_f\), puis \(TKE\) pour un transfert net de nucléons nul, ce qui permet d’en déduire l’écart type de la masse, laquelle on tire au hasard selon une loi Gaussienne de moyenne égale à la masse initiale et de variance [GR85] : \[\sigma_A^2=\left(\frac AZ\right)^2\exp\{-5,27(E_{cm}-TKE)/\ell_{eff}-0,09\}\] où \(\ell_{eff}\) est le moment angulaire d’effleurement. Pour \(\sigma_A^2\lt(A/Z)^2\) : \[\sigma_A^2=\alpha\left(\frac AZ\right)^2\log\left({E_{cm}-V_c\over TKE-V_c}\right)\] \(\alpha\) étant choisi pour que les deux expressions se raccordent. On génère ensuite la charge, et il faut maintenant recalculer \(TKE\) comme précédemment en changeant toutes les variables par celles de la voie de sortie, puis répartir l’énergie d’excitation. La fraction du moment orbital incident \(I=\ell-\ell_f\) qui a été transférée au spin des noyaux est alors partagé entre eux en proportion de leur moment d’inertie. Un exemple de distribution d’énergie cinétique totale ainsi obtenue est représenté sur la figure IV.2.
Il ne reste maintenant plus qu’à obtenir l’angle d’émission. D’après le modèle semi-classique [ST73], la distribution angulaire pour un moment angulaire incident fixé est Gaussienne de variance : \[\sigma_\theta^2={1\over4\sigma_\ell^2}+\left({\partial\theta\over\partial\ell}\right)^2\sigma_\ell^2\] où l’origine du premier terme est quantique, et celle du second classique. La valeur de \(\sigma_\ell\) est estimée à [ST64] : \(\sigma_\ell=2a\ell/R_{AF}\) avec \(a\simeq\) 0,7 fm, la diffusivité nucléaire. Pour la valeur moyenne on utilise soit différentes paramétrisations de la fonction de déflexion, soit les données expérimentales que l’on veut reproduire. Celle qui a été choisie dans le présent calcul est visible figure IV.3. L’angle d’émission et l’énergie cinétique totale, avec le plan de réaction pris au hasard, donnent finalement les vecteurs vitesse des produits finaux.
IV.3.iv Coupures expérimentales
Les programmes que nous venons de décrire fournissent un certain nombre de particules avec leurs caractéristiques. Pour pouvoir comparer directement les résultats avec l’expérience, il faut encore leur faire subir les transformations occasionnées par le dispositif de détection.
Pour chaque particule, on test en premier si elle est comprise dans l’acceptance angulaire du détecteur, et si elle se trouve au-dessus des seuils de celui-ci. Si oui, on ajoute à la charge et à la vitesse l’erreur de mesure, en tenant compte notamment de la largeur temporelle du paquet de faisceau en ajoutant un décalage en temps unique pour toutes les particules d’un même événement. Eventuellement, si deux particules (ou plus) se trouvent dans le même module, elles sont éliminées toutes les deux. Enfin, on applique le même critère d’acceptation de l’événement que pour l’expérience. Les données qu’on obtient de cette façon sont analysées exactement de la même façon et avec le même programme que celles qui ont été mesurées.
IV.4 – Comparaison avec l’expérience
IV.4.i Caractéristiques générales
Voyons tout d’abord l’accord général avec l’expérience en commençant par la corrélation \(Z\)–\(Z\) (Fig. IV.4). On retrouve bien nos trois composantes, avec toutefois des fragments rapides avec une charge et une vitesse plus grande. Mais étant donné que le programme de décroissance des noyaux a été conçu pour les grandes énergies d’excitation, une telle différence n’est pas significative. Passons ensuite aux coïncidences doubles avec les corrélations en vitesse (Fig. IV.5). Encore une fois, les composantes sont bien visibles. De plus, on remarque que les coïncidences intermédiaire-intermédiaire sont moins nombreuses, ce qui semblerait montrer que cette fois, la probabilité de fission est plus faible que dans l’expérience. Ce fait a déjà été observé et établi plus quantitativement [GL83, PEL89], et faisait aussi partie de notre interprétation.
IV.4.ii Collisions centrales
Pour commencer l’analyse des collisions centrales, il faut avant toute chose s’assurer que les observations qui ont conduit à l’interprétation de cette classe d’événements se retrouvent bien dans la simulation. Sur la figure IV.6, le cercle où se placent les fragments de masse intermédiaire est visible tout au moins dans XYZt. Les fragments lents superflus sont ceux qui sont émis par la cible, et qu’on observe aussi sur la figure IV.5. Quand on autorise les modules à détecter plusieurs particules à la fois, ce qu’on voit dans la partie droite de la figure IV.6, on a une différence, bien qu’assez faible, mais c’est la conséquence du petit nombre de coïncidences intermédiaire-intermédiaire.
Nous nous sommes assurés du caractère binaire de la réaction au moyen de la distribution de l’angle relatif, dans le centre de masse du système réduit, entre la vitesse du quasi-projectile et de la quasi-cible. Mais comme, à cause de la conservation de l’impulsion, on s’attendait qualitativement à ce résultat, il faut vérifier que la largeur de cette distribution n’est pas trop grande, ce qui est fait en comparant avec la simulation (Fig. IV.7). Le très bon accord entre les deux ne permet pas d’invalider notre précédente conclusion.
L’existence de la diffusion profondément inélastique comme mécanisme de base semblant se confirmer, nous sommes maintenant en mesure d’examiner les déviations par rapport à celle-ci. Sur la figure IV.8, la vitesse relative entre les deux fragments intermédiaires reste compatible avec une constante pour tous les angles \(\varphi\) dans le cas de la simulation, contrairement à celui de l’expérience. Cela démontre que la variation de la vitesse relative en fonction de \(\varphi\) n’est pas due aux coupures ou aux seuils, et par suite que les propriétés de fission du quasi-projectile sont perturbées, soit par le champ de la cible, soit à cause d’effets dynamiques. Une dernière remarque à propos de la différence entre les valeurs moyennes s’impose. Celle-ci est plutôt due à la largeur de la distribution pour un angle donné qu’à la valeur elle-même, et à son tour, probablement à l’interaction Coulombienne entre les produits de la désintégration qui a été négligée dans le programme de décroissance.
IV.4.iii Particules légères
Nous étions partis de l’idée, pour reconstruire le quasi-projectile primaire, que les particules légères étaient évaporées séquentiellement par celui-ci, ce qui était supporté par le fait que la distribution d’énergie relative présentait une queue exponentielle. Cet aspect est reproduit par la simulation, comme on peut le voir sur la figure IV.9.
Pour ce qui est des pentes, elles sont tout à fait comparables entre la simulation et l’expérience, alors qu’elles sont très différentes entre les protons et les particules α, là même où elles devraient être égales. C’est la preuve que la trop grande température apparente ne résulte que des erreurs de mesure, dont l’influence est plus grande quand la distribution de vitesse relative est plus étroite.
L’origine des particules légères étant maintenant fermement établie, regardons la variation de la masse calculée par coïncidence cinématique et la masse reconstruite (Fig. IV.10). La ressemblance entre les deux courbes est frappante, et indique que les erreurs de mesure et les seuils peuvent expliquer seuls le fait que les masses ne soient pas strictement égales. Il semble donc que pour les collisions périphériques aussi on a des collisions dissipatives, mais cette constatation n’est valable que dans le cas où l’on a deux fragments de fission, ce qui n’exclut pas d’autres mécanismes qui exciteraient moins la cible.
IV.5 – Discussion
Comme nous l’avions annoncé et vu par la suite, nous nous trouvons face à des difficultés d’analyse qui sont propres aux phénomènes de transition. Tout d’abord, si on choisit un nombre limité de variables, il est souvent impossible de faire la différence entre deux hypothèses, ce qui est le cas par exemple si on étudie les fragments seulement. On est alors obligé de faire des mesures plus complètes, mais on se retrouve alors confronté à un autre problème que constituent les coupures expérimentales, et cela à cause de corrélations d’origine dynamique, comme par exemple pour la fission du quasi-projectile. En revanche, nous nous sommes aperçus que le maximum d’information se trouvait dans la mesure simultanée des fragments et des particules légères. Cela s’explique en effet en ce que les premiers sont caractéristiques des degrés de liberté collectifs, et les derniers des individuels, entre lesquels nous cherchons à comprendre les influences mutuelles.
Pour ce qui est des résultats obtenus, toutes les observations concordent pour faire des collisions dissipatives le mécanisme de base. En premier lieu, l’étude des coïncidences, en montrant qu’elles se produisaient entre d’une part les fragments lents, et d’autre part les rapides ou intermédiaires, détermine l’origine des fragments de masse intermédiaire comme étant le résidu du projectile. Il s’ensuit que les deux noyaux conservent leur identité. La distribution de masse de cette composante ressemble à celle donnée par la multifragmentation d’une source qui serait donc le quasi-projectile, ce qui est compatible avec une très grande énergie d’excitation. Les particules légères, tout au moins celles émises vers l’avant, sont pour la plupart évaporées par le résidu du projectile, tel qu’elles le seraient dans le cas d’une collision dissipative. Enfin, le caractère binaire, tout comme l’existence du diagramme de diffusion semblable à ceux connus ont été mis en évidence. Les processus collectifs semblent donc encore dominer à 27 MeV par nucléon, et en particulier grâce à l’émission de prééquilibre qui dissipe une partie de l’énergie incidente, et qui peut être considérée comme la première manifestation des degrés de liberté individuels. Il semble que ce soit encore le cas à 43 MeV par nucléon.
Nous en déduisons, ce qui est confirmé par l’analyse énergétique, que les collisions dissipatives permettent de créer des noyaux très chauds, mais sont sujettes de ce point de vue aux mêmes limitations que pour la fusion incomplète. D’autre part, comme nous l’avons montré, et comme il a déjà été établi auparavant, ces noyaux ne sont pas à l’équilibre du point de vue de leurs degrés de liberté macroscopiques, ce qui complique leur étude. En revanche, nous sommes en présence de déviations par rapport à ce qui est connu à plus basse énergie, et qui préfigurent ce qui se passera en montant en énergie. Elles fournissent en plus des observables supplémentaires qui rendent l’étude de la dynamique de réaction plus facile avec des systèmes très lourds que dans le cas de la fusion incomplète.
Pour la compression par contre, tout au moins si on en juge par la fonction de déflexion reproduisant grossièrement l’expérience, aucun indice ne permet d’en soupçonner les effets, quoique cette question n’ait pas été spécialement étudiée. Ajoutons cependant que la contribution des collisions nucléon-nucléon serait capable de les imiter par l’accélération de la dissipation, ce qui aurait des répercussions, semblables au phénomène de « rebondissement », sur l’angle d’émission, si celui-ci était observé par rapport à d’autres variables ayant un lien plus ou moins direct avec l’énergie cinétique totale.
A haute énergie, seule une partie des noyaux, qui est celle de recouvrement, participe à la réaction, alors qu’à basse énergie, dire que le processus est collectif revient à dire en termes plus judicieux que le système entier participe. La distribution de l’énergie d’excitation suit la même logique, donc dans le régime de transition, il existe probablement un gradient de température et des déformations dans les noyaux. De cette manière, le noyau primaire produirait un fragment à l’avant venant de la zone froide, et un à l’arrière plus petit venant de la zone chaude. Celle-ci sera plus petite pour les grands paramètres d’impact, ou les petites pertes d’énergie cinétique totale, comme il a par ailleurs déjà été observé [GL82, GL83]. La zone chaude, selon l’énergie de bombardement, peut soit être arrêtée par celle de l’autre noyau à cause des collisions à deux corps et se désintégrer en nucléons, soit dans le domaine intermédiaire, multifragmenter. Finalement à basse énergie, la séparation entre les zones disparaît complètement.